Responsabilité délictuelle: la compétence territoriale des tribunaux
Par gbarbabianca le jeudi, 19 novembre, 2015, 16h48 - internationales - Lien permanent
Conformément à l’article 7 (2) du Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 (le « Règlement ») concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, « une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite, dans un autre État membre en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Il est de jurisprudence constante que cet article s’applique à toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la « matière contractuelle » au sens du point 1 du même article (Arrêt Brogsitter, 13 mars 2014, C- 548/12 point 20).
L’article 7 (2) du Règlement appelle plusieurs développements. Ainsi, il convient de nuancer entre le lieu où le fait dommageable s’est produit et le lieu où le fait dommageable risque de se produire.
- Le lieu où le fait dommageable s’est produit
L’article 7 (2) du Règlement est interprété de façon extensive puisque l'expression « lieu où le fait dommageable s'est produit » doit s'entendre à la fois du lieu où le dommage est survenu (lieu de la matérialisation du dommage) et du lieu où l'événement causal à l'origine du dommage s'est produit (CJCE, 30 nov. 1976, aff. 21/76, Mines de Potasse d'Alsace, Rec. CJCE, p. 1735) de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou l’autre de ces deux lieux. Depuis lors, cette jurisprudence a été confirmée à de nombreuses reprises (Arrêt du 30 novembre 1976, Bier (21/76, Rec. p. 1735, points 24 et 25) voir, également, arrêts du 1er octobre 2002, Henkel (C‑167/00, Rec. p. I‑8111, point 44); du 5 février 2004, DFDS Torline (C‑18/02, Rec. p. I‑1417, point 40), du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie (C‑189/08, Rec. p. I‑6917, point 24), du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie BV et autres contre Friedrich Leopold Freiherr Spies von Büllesheim (C-47/14, point 72).
Lorsqu’il est fait référence au dommage, seul est visé le dommage découlant immédiatement du fait générateur. Cette interprétation est admise sans difficultés pour les préjudices de caractère patrimonial. C’est ainsi que diverses juridictions ont eu l’occasion de refuser de fonder leur compétence sur la localisation de ce préjudice patrimonial au domicile de la victime alors que ce préjudice n’était que la conséquence d’un préjudice matériel direct qui s’était produit ailleurs.
- Le lieu où le fait dommageable risque de se produire
Au regard de l’article 7 (2) du Règlement, le tribunal compétent est non seulement celui où le fait dommageable s'est produit, mais également celui où le fait dommageable risque de se produire. Sont ainsi couverts par cette définition à la fois le lieu où l'acte dommageable risque de se produire et le lieu où le dommage risque de se réaliser. Cette extension permet d'accueillir des actions visant à prévenir le dommage (c.à.d. des actions préventives). Cela dit, encore faut-il qu’il y ait à la fois risque que le fait générateur se produise et risque qu’un préjudice soit subi. La seule véritable difficulté est donc de prouver l’imminence du fait dommageable et de ses conséquences préjudiciables.
Aussi, si le fait générateur du dommage est localisé dans un État et qu’il produit simultanément des dommages dans des États différents (comme en matière de diffamation par voie de presse), la Cour de justice accepte que la victime puisse agir pour le tout devant le juge de l'État du fait générateur ou devant le juge de l'État où le dommage s'est révélé, mais seulement pour ce dommage (Lamy droit économique 2015 – n°566: détermination du lieu du fait dommageable).
En tout état de cause, le demandeur n’a pas à démontrer des liens plus étroits de l’affaire avec l’un ou l’autre des tribunaux potentiellement compétents. A l’inverse, le défendeur ne peut contester la compétence du tribunal choisi par le demandeur, au motif que l’autre tribunal serait plus approprié.
Toutefois, il convient de noter que l'expression «°lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire°» ne vise pas le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le « centre de son patrimoine » au seul motif qu'il aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d'éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État (CJCE, 19 sept. 1995, aff. C-364/93, Marinari, JDI (Clunet) 1996, p. 562 ; CJCE, 10 juin 2004, aff. C-168/02, Kronhofer, D. 2004, p. 1934).
- La loi applicable
Notons que conformément à l’article 4 du Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ». Ainsi si le dommage se manifeste ou risque de se manifester au Grand-Duché de Luxembourg cela justifie l’application de la loi luxembourgeoise au litige.